Avoir l'usure, mais pas le fruit...

Des piles de e-mails «printés» (ah le jargon des multinationales… «Peux-tu me processer le billing que je t’ai forwardé en follow up»… !?), des piles de messages électroniques imprimés, donc, constituaient les dossiers laissés par Manager Amoureux, qu’il avait assemblé en plusieurs tas très épais, portant comme titre : «Ne pas détruire». Ces interminables piles étaient à assembler par ordre chronologique et à diviser en Statistiques, Correspondances Interne et Externe, Dossier de Presse – Conditions et Stipulations – Annexes... Un dossier par année, les documents allant de 1976 à 2000... Alors que Geisha allait se mettre à la tâche, le téléphone sonna : «- Dans la famille catastrophes naturelles, donnez-moi le père ! Ha Ha Ha !», c’était Manager Amoureux dont le rire tonitruant fut interrompu par une inquiétante quinte de toux. Elle resta sans voix : toutes les piles qu’elle devait ainsi classer avaient pour titre générique : «Catastrophes Naturelles»...

Geisha contemplait ces piles désertes, d’où émergeait, au fil de son sommeil de lecture, le nom de "Manager Amoureux", tantôt en destinataire, tantôt en expéditeur des e-mails, c’était sans doute le reflet du soleil de l’après-midi jouant avec les vagues mouvements de l’eau, paysage suspendu aux paupières presque fermées de Robinson au long cours de sa sieste-classement. "Mrs Robinson" se souvint ainsi de l’un de leurs premiers moments complices datant du temps d’avant le naufrage : elle ne pouvait s’empêcher de contempler "Manager Amoureux" d’un air gourmand des pieds à la tête, si bien que parvenus lors d’une session de formation souscription au chapitre de l’expertise d’œuvres d’art, parlant d’un tableau de son oncle, un Baltus peint par le «Maître» dans sa 48 ème année (Geisha fit exprès de donner un âge correspondant à celui de son interlocuteur, qui ne fut pas dupe et eut un petit sourire de connivence), Manager Amoureux interrompit l’élève et dit, prenant la perche que lui tendait Geisha : «- Tu aimerais bien l’avoir, ce tableau ?». Sourire des prunelles de Geisha. «- Je vois bien !», répondit-il d’un air entendu. Les pupilles de l’Homme aux Gitanes se mirent soudain à refléter le jaillissement d’une flamme sur le miroir du silence.

Peu de temps après avait eu lieu la scène de la «maîtresse souscription» - vous vous souvenez, Manager Amoureux, désignant le "Code des Assurances" dont il se servait pour assurer une formation juridique de base à Geisha, lui avait dit : «- Tu vas devenir Maître es Souscription...». La réponse de Geisha, sa répartie : «C’est le masculin qui sauve !», dite sur un ton de triomphe forcé, la voix comiquement haut-perchée. Suivirent plusieurs jours de parfait trouble mutuel.

Puis l’Homme aux Gitanes mit les pieds dans le plat, un matin que Geisha frappait à la porte de son bureau : «- Hello ! Le courrier de Monsieur est avancé.», il dit à brûle pourpoint : «- Tu as raison. Le statut de maîtresse n’a rien d’enviable», tout en l’enveloppant d’une onde de désir, à défaut d'un nuage de fumée de Gitane (les bureaux de cette filiale Parisienne de multi-nationale américaine étaient tous strictement non fumeur). C’est vers cette époque que Geisha s’inscrivit à des leçons de Flamenco au conservatoire de sa ville, tandis que l’Homme aux Gitanes enchaînait ces dernières à un rythme de plus en plus soutenu. Au cours d’une autre session de formation par ce consultant juridique du service Souscription, tant apprécié par le Management européen de la compagnie, situé au cœur de la City de Londres, dans des bureaux de la célèbre «Tower 42», parlant de la notion d’usufruit, Manager Amoureux fit remarquer à Geisha : «- Pour l’instant, tu as l’usure, mais pas le fruit…» Geisha savait qu’il gagnait chaque mois 10 fois son salaire mensuel à elle...

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