Geisha et le fumeur de Gitanes

Il la devinait quelque part entre la petite fille aux allumettes et l’allumeuse. «L’homme est souffle», nous enseigne Esaïe. Touché, caressé, embrassé et bientôt embrasé par la grâce érotique de Geisha, l’homme craquait une allumette après l’autre pour allumer ses Gitanes. Gesiha le regardant fumer se sentait à la fois petite fille dans la compagnie si réglementée dans laquelle elle était nouvelle recrue, et bohémienne des sens. Ses sens voyageaient, dansaient au rythme du souffle et de la fumée – si fort le rythme de la main gitane battant le tambourin qui lui raisonnait des talons au ventre. Pénétrée du souffle de la danse. Comment un homme possédant pouvoir social et épouse aimante pouvait-il venir tambouriner à la porte d’une bohémienne ? Voilà intrigue à fasciner Geisha sans tarder.

De jeu social en danse gitane, des relations avec l’homme aux Gitanes se nouèrent. Nouèrent Geisha à des questions aussi absurdes qu’inéluctables, comme : que se passerait-il lorsque toutes les allumettes auront été craquées ? Geisha est-elle quantifiable comme un paquet de cigarettes ? L’homme qui fumait des Gitanes passait sa passion au filtre de l’humour : il appelait Geisha «Ma chérie, comme dirait l’autre», et ajoutait, lorsque Geisha annonçait son prénom au téléphone : «Laquelle ? Ma femme ou ma maîtresse ?» et éclatait de rire. Son épouse et Geisha avaient en effet le même prénom. Ou encore : « Ne craque pas pour ça, ça n’en vaut pas la peine». Ce qui ne l’empêchait pas de craquer une allumette après l’autre. Au beau milieu d’un «training» sur les polices d’assurances en risque industriel qu’il faisait à Geisha, il lâcha : «Fonder une famille, c’est prendre le malheur en otage». Puis il épia la réaction de Geisha, jeune femme de 30 ans, sans mari ni amant(s). Celle-ci éclata d’un rire silencieux, bouche grande ouverte.

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