Geisha, secrétaires et managers

"Manager Amoureux", de petite taille, très mince, style vestimentaire Vintage classique, cheveux bruns plus poivrés que salés, la peau et les yeux mates, la voix au timbre solaire, grave et puissant, passée au tamis après ce refus de Geisha : «Bon», fait-il, comme pour lui-même, mi ironique, mi points de suspensions.

Quelques managers, à l’annonce du cancer de leur collègue, se mirent à tourner autour de Geisha afin d’épier sa réaction à la nouvelle. Elle voyait bien leur compassion – dans le meilleur des cas – mais aussi leurs suspicion et sous-entendus. Ils en oubliaient pourtant, dans ce registre : lors de la fusion de la compagnie, un an auparavant, avaient surgi d’impitoyables et injustes rivalités entre les deux Directeurs Souscription des deux anciennes compagnies ayant fusionné. A présent l’un d’eux était de trop.

Il n’y avait pourtant jamais eu de compétition entre les deux hommes, unis comme les 5 doigts de la main, de telle sorte que lorsque l’ensemble de l’équipe post-fusion eut à les départager pour choisir le nouveau directeur souscription, il y eut quelques difficultés. Ceux qui avaient été collègues et amis 20 ans durant étaient désormais mis en compétition par leurs collègues…. C’est ainsi que depuis quelques mois, donc à peu près au moment de l’arrivée de Geisha, Manager amoureux était en quelque sorte mis sur la touche, plutôt gardé en ressource, comme conseiller. Geisha, devant travailler pour lui, avait du mal à comprendre son rôle et ses brusques sautes d’humeur et fuites devant ses naïves questions : «Comment se fait-il que tu n’aies pas plus de travail à me donner ?», «Comment se fait-il qu’un Manager comme toi ait à remplacer pendant 3 mois un gestionnaire de compte au bureau de Francfort ?». ô ironie du sort, l’"Homme aux Gitanes" était complètement allergique aux Heidi et autre Gretchen, ainsi qu’à leur langage, alors que Geisha avait été enseignante d’allemand au lycée et au collège pendant 4 ans. Dans de telles conditions, il ne fut pas facile de gagner la confiance de Manager pas encore amoureux du tout, au poste indéfini et qui allait le rester encore 2 ans après la fusion. Son titre ronflant faisait penser à ces maisons croulantes qui ne tiennent plus que par le papier peint. Geisha arrivant en pleine post-fusion eut à essuyer les plâtres, colmater les brèches (donc faire office de bouche-trou), et ramasser les miettes : son poste d’assistante marketing recouvrait en fait une activité d’assistante Ventes et Souscription, de réceptionniste / standardiste et d’assistante des Chargés de Compte, «Responsables du Développement des Nouvelles Affaires», l’un arrivant avec une charrette de travaux pour elle dès 10 h le matin, tandis que l’autre, après le coiffeur, les bistrots et autres bouffes avec les potes courtiers, arrivait sur le coup de 17 h 30 avec du travail à faire pour le soir même ou le lendemain matin 9 h 00… Sans compter le déménagement prévu dans des nouveaux locaux, avec toute la charge supplémentaire de courriers administratifs, qui n’attendait que Geisha, étant donné que l’assistante de direction en titre servait d’ingénieur architecte, supervisant la construction et l’aménagement des nouveaux locaux. Quant au Directeur des Opérations Européennes, il travaillait en secret à son départ chez un concurrent suisse, mais n’annonça la nouvelle qu’une fois le déménagement accompli – projet à l’aboutissement duquel il ne s’était quasiment pas impliqué, déléguant son rôle à l’Assistante de Direction en titre. Celle-ci, sur les 4 mois que durèrent la mise à exécution du projet de déménagement, fut à plusieurs reprises au bord de la crise de nerfs, pourtant forte de ses 18 ans d’expérience dans la compagnie. En récompense de ses bons et loyaux services, il lui fut remis par le directeur sortant quelques chèques-cadeau utilisables à Habitat...

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